« La vie fait sa difficile ? Et alors ! Les rêves exploitent mes envies de démesure. Lorsque je les tiens serrés contre mon cœur, ils forment des au-delà mort-nés. Mais avant de les autoriser à s’évanouir, il me suffit de vouloir pour qu’ils aient une certaine substance… »
Vouloir. Imaginer. Se construire et se reconstruire.
Les cinq histoires de ce recueil nous dévoilent l’intimité d’une souffrance qui ne s’en laisse pas conter. D’un récit à l’autre, les personnages se retrouvent, faisant de ces nouvelles un roman déguisé.
Danya, l’adolescente beur prisonnière des traditions familiales et qui espère en un avenir théâtral.
Agatha, déchirée entre sa maladie et ses fantaisies océanes.
Lucille qui aspire à s’envoler par-dessus les murs pour voir en la rue un horizon lointain.
L’homme sans nom et sans toit qui veut croire, vestige d’espérance, en un univers moins hostile.
Et le jeune sieur M…, bien décidé à s’identifier au mythe d’Icare, à toucher du bout du cœur un peu des astres et du ciel pour évider sa mémoire, ne plus appartenir au camp des enfants pas sages.
Tous nous rappellent avec pudeur et tendresse que notre humanité est dans la quête incessante du bonheur.
Disponible en librairie et directement sur le site www.dunnoirsibleu.com
où les premières pages du recueil peuvent être feuilletées.
EXTRAITS
LA PEINE AU FOND DES CIEUX
Il semblerait qu’Athéna ait jailli du crâne de Zeus armée et casquée, pourquoi pas. Toi-même tu es bien née de la main de ton père, prête à en découdre. Cependant, est-ce l’époque qui n’est pas aussi favorable aux jeunes femmes ou ta valeur qui n’est pas aussi manifeste, incontestablement tu ne bénéficies pas de la même aura que cette déesse guerrière.
Personne n’est au courant que tu es née de la main de ton père. Tu n’es pas naïve, tu sais bien que ni ta famille, ni tes amies ne te croiraient. C’est donc une histoire que tu te racontes, dont tu te rebats les oreilles à chaque fois que ton père fait des siennes. Non qu’il s’en prenne à toi physiquement, non, la gifle ne s’est jamais répétée, mais il lui arrive d’élever la voix et de se désespérer. Quand on est de sexe féminin et donc encombrante par principe, ces moments-là ont tendance à se répéter.
LE SOURIRE DE L’IGUANE
Je devrais peut-être lui donner l’un de mes baisers. Un baiser salé pour conférer à cet instant dans lequel elle s’est enfermée davantage de saveur. Je la vois river son regard à un horizon particulier, à sa ligne d’affect. Elle est jeune et jolie, valide, pleine de vie et pourtant une sale émotion se lit sur ses traits. Je suis descendue avec ma mère à l’épicerie qui se trouve en bas de chez nous. Comme d’ordinaire, je l’attends assise sur le rebord du trottoir. J’ai du mal avec les magasins ; quelle que soit leur taille, je me sens à l’étroit entre les rayonnages. Ce qui ne m’empêche pas, quand ma mère va à l’épicerie ou à la boulangerie du coin après que je suis rentrée de mes cours, de prendre plaisir à l’accompagner. De toute manière, les médecins nous l’ont assez répété, j’ai besoin de prendre l’air le plus souvent possible. Prendre l’air, changer d’air. M’extraire régulièrement de ma chambre. C’est vrai que dans le quartier, il y a toujours quelque chose à voir, quelque chose, un rien, un lieu commun dont je puisse me pénétrer.
DIS MAMAN, DESSINE-MOI
Tu ne raconteras pas d’histoires, avait dit sa mère de sa voix enchantée. Et puis un peu plus tard : tu ne mendieras pas de douceurs, avait-elle rajouté dans un souffle avant d’allumer la radio, Chérie FM – pour une variété française en fond sonore. Tout au long de la route, Lucille avait prêté l’oreille à ces commandements, à cette litanie pleine de négation qu’elle connaissait sur le bout des syllabes. Elle l’avait fait de façon machinale. La voiture était le lieu saint de sa mère où la voix de celle-ci s’exposait avec emphase. Lieu clos, minuscule, sans échappatoire. Lucille ne pouvait que religieusement écouter. A l’intérieur de la vieille Golf, la voix tissait les minutes, colonisait le moindre espace de silence ; elle était à sa merci.
LES MOUCHES
Le carton est humide, il ne tiendra pas. Ses doigts s’agacent, ils ont perdu de leur force. Dans son dos, le pas pressé des passants lui rappelle qu’il faut qu’il se terre. Sa maison sera de carton. Il veut se dérober à leurs yeux, n’être plus qu’une chose de carton-pâte. Il a mal aux doigts. Ils sont si gonflés, violacés, encroûtés. Il n’a qu’une envie : se coucher dans son abri, se sentir loin de tout, du décor sensible comme des individus en transit. A la brune, son humanité refait surface, elle suinte par tous les pores de sa peau. Le jour, il parvient à tenir ses émotions à l’écart, mais lorsqu’une clarté de lune tache l’horizon… Le carton ne tient pas, il est trop humide. L’homme s’énerve. Il cogne l’ennemi invisible, frappe l’air autour de lui de ses poings serrés. C’est un air lourd, vicié qui le suit comme un toutou. Quoi qu’il fasse, il en a toujours après lui.
LES AVATARS DU JEUNE SIEUR M…
Le jour est venu où non content de ne plus avoir à s’exposer face contre terre, il va s’arracher à son attraction, s’éparpiller par delà cette ligne bleue du Pikes Peak dont il a appris à connaître chaque sentier, chaque dévers, chaque escarpement. Il veut s’identifier au mythe d’Icare, planer au-dessus des vallées profondes, fondre sur le downtown de Colorado Springs façon deus ex machina avant de remonter toujours plus haut, voler de plus en plus haut jusqu’à toucher du bout des ailes un peu des astres et du ciel. Il a envie que son histoire se dénoue d’elle-même. Il ne craint plus ni Wwasp,[1] ni mère. Il va leur montrer à tous qu’en cet automne qui n’avait pourtant rien de funèbre, il n’est plus un jeune homme perdu. Son paradis n’était pas situé dans le Centre. Son paradis n’est pas d’ici bas.
[1] World wide association of speciality programs and schools. Cet organisme a créé des écoles mettant en avant un programme fondé sur la modification du comportement. Ces établissements sont uniquement destinés à accueillir des jeunes protestants anglo-saxons de race blanche.